[EXTRAIT – BORDEAUX EST AVENIR]
Novembre 2016. Réunion d’adjoints. « Nous sommes dans une situation financière complexe, nous devons faire des choix et les assumer collectivement ». En substance, voici comment ont débuté les arbitrages financiers à l’automne 2016 à l’hôtel de ville de Bordeaux, tandis qu’Alain Juppé caracolait en haut de tous les sondages et que ses soutiens arrivaient de toute part. 68 millions de baisse de dotation globale de fonctionnement de l’Etat entre 2014 et 2017, une forte augmentation du nombre d’habitants avec la construction de nos nouveaux quartiers, dont une bonne partie d’entre eux seront très dépendants de nos services publics et le paiement de nos grands équipements, nous obligent à une vigilance totale.
Le lendemain, lors d’une réunion avec la Caisse d’allocations familiales de la Gironde, le contenu des échanges est le même : « Il y a beaucoup moins d’argent, on demande aux équipes de faire davantage avec moins de budget et ça se corsera dans les années à venir ».
Sur les plateaux de télévision comme dans tous les journaux, les grands élus nationaux font référence à la dette et dans toutes les assemblées locales on parle de réductions, de mutualisations, de nouveaux choix, de priorités, d’efforts, de nouveaux coups de rabot. Personne n’ose parler de nouvelle augmentation d’impôts locaux, chacun comprend dans toutes les assemblées que ce serait comme jeter du vinaigre sur les plaies des citoyens. La réalité économique, comptable, technique nous met tous au pied du mur et nous obligent à trouver urgemment de nouvelles économies. 2 200 milliards de dettes, qui représentent plus de 98 % du Produit intérieur brut, mettent en danger de déclassement notre pays, sixième puissance mondiale. Sur le terrain, les inégalités se vivent de plus en plus mal et génèrent des désordres entre territoires urbains et ruraux, entre communautés, entre générations. La tension est palpable un peu partout.
Un mois plus tard, l’écriture de mon livre s’achève. Alain Juppé est de retour exhortant son équipe à défendre les valeurs d’une droite humaniste et à servir chaque Bordelais.
Je me projette sur les marges de manœuvre de la société civile pour participer davantage à l’avenir de la cité. Car le changement de civilisation en cours et les défis qu’il impose, au premier rang desquels l’hypothèse de plus en plus crédible d’un basculement climatique, va bouleverser davantage encore l’équilibre économique et la cohésion sociale en nous obligeant à rebattre toutes les cartes. Bordeaux, en tant que grande ville française, qui plus est sous les feux des projecteurs, n’échappe pas à cette perspective : il faudra adapter notre vision politique et questionner le cadre de nos priorités parallèlement aux décisions nationales qui s’imposent. Dans un contexte de mutations radicales et donc d’obsolescence de très nombreuses pratiques, nous ne pourrons pas nous contenter de réduire les budgets, il va nous falloir bouger les lignes de fond. Bordeaux pourrait ainsi continuer à assumer son ambition européenne et à maintenir haute sa dynamique d’attractivité en montrant la voie.
La course présidentielle pour la fonction suprême doit être saisie comme l’opportunité dans tous nos territoires de parler davantage de notre avenir et de participer plus nombreux et plus engagés à l’intérêt général, au bien commun. II ne tient qu’à chacun de nous de redevenir des « animaux politiques »[1], de prendre à bras le corps nos responsabilités et de contribuer à corriger tout ce qui nous étouffe et nous accable.
Chacun de nous se projette dans l’avenir, même si pour beaucoup il est angoissant. Nos croyances sont terriblement affaiblies dans toutes les formes d’autorité et dans toutes les incarnations de notre système. Les analyses des experts en tout genre, de toutes parts, enkystent en nous des raisonnements assurantiels qui tuent notre créativité, nos élans d’empathie et d’utopie. Notre système a organisé la fragmentation de l’humain, son découpage en dispositifs, protocoles, schémas, collectivités… Cela se traduit par un verrouillage administratif, scellé par des sigles et des processus complexes et de plus en plus inaccessibles. Dossiers et guichets sont des passages obligés pour entrer en communication avec les institutions. Les citoyens sont classés par catégories d’enjeux et de vulnérabilité, potentiels ou avérés, et nous entrons dans des circuits fermés, aseptisés, castrateurs. Dans la machine des décisions, nous perdons nos singularités dans ce qui est nommé le droit commun, ou au contraire, nous sommes résumés à notre singularité au point parfois d’être assimilés à des phénomènes marginaux trop coûteux. Les phénomènes d’invisibilité et d’inaudibilité, sont parfaitement connus et chiffrés : les conséquences du non-recours aux droits gangrènent nos finances publiques car tout ce qui ne se prévient pas doit ensuite se régler dans l’urgence.
La République a besoin de réincarnation collective. Reprenons confiance dans nos capacités individuelles et collectives à faire évoluer nos organisations et nos institutions. Partageons avant tous les vrais défis qui nous traversent : explosion démographique, via notamment l’allongement de la durée de la vie et les migrations, chute vertigineuse de nos ressources naturelles, quasi basculement climatique définitif, développement sidérant de la technologie par le numérique, augmentation des inégalités sociales. La société civile peut penser l’intérêt général et peser davantage dans la définition de nouveaux projets politiques de territoires. Partout, dans tous les domaines, des hommes et des femmes, des défricheurs d’un nouveau genre, viennent gonfler les rangs des engagés historiques en insufflant un désir nouveau d’actions, plus agile, plus autonome, plus provocateur et aussi plus déterminé.
Durant 18 années, immergée dans le monde politique de l’une des villes les plus attractives de France, j’ai eu la chance d’échanger avec des centaines d’acteurs et d’habitants bordelais. Je sais qu’ils ont des ressources inouïes pour penser demain différemment, pour peu que leur besoin d’autonomie et la diversité de leurs capacités soient priss en compte. J’ai la certitude que l’avenir pourra être celui que nous voudrions collectivement qu’il soit : plus juste et plus responsable. Dans un monde de plus en plus complexe, j’ai acquis la conviction que nous avons fondamentalement besoin d’intelligence collective. Mes premières réflexions concernent neuf dynamiques. Certaines sont parfois déjà lancées, et/ou revendiquées, et/ou débattues par une minorité ou par une majorité. Mais elles méritent que le plus grand nombre s’en empare vraiment et y participe complètement pour qu’elles libèrent enfin tout ce qu’on en espère.
[1] Selon Aristote
… La suite mercredi prochain
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