[EXTRAIT – BORDEAUX EST AVENIR]
La nuit n’attend pas
Jeudi. Avril 2016. 22h30. Sur les quais. J’accueille dans le froid de la nuit une délégation de grandes villes françaises, membres du Forum français pour la sécurité urbaine – FFSU-, association dont je suis vice-présidente qui œuvre dans le champ de la sécurité et de la prévention. Elle développe des programmes qui permettent des mises en commun de réflexions et de pratiques entre grandes villes. Bordeaux participe à l’un d’eux autour de la vie nocturne, des pratiques des noctambules, des évolutions sociétales qu’elles révèlent, des manières en France et en Europe de les comprendre et d’y répondre.
Je suis fière d’accueillir cette délégation et convaincue qu’au travers de leurs regards neufs, le nôtre s’objectivera davantage. Jusqu’à 2 heures du matin, nous sillonnons la ville en nous arrêtant partout où la fête bat son plein.
Les quais sont le théâtre de regroupements diffus, éphémères, d’hyper alcoolisation. Nos tramways transportent des cohortes de jeunes, en particulier dans les deux secteurs principaux de fête de la ville, des univers parfaitement distincts, tant sur le plan urbain et géographique que sociologique. Les quais de Paludate, secteur historique de nuit, grouillent de dizaines de milliers de jeunes de toute la métropole, parfois même de Paris. A Paludate, on peut boire moins cher et on se retrouve en masse dans un haut niveau de sécurité publique. Caméras de vidéosurveillance, policiers et dispositifs de prévention comme le Somm’en bus pour accueillir, protéger et prévenir sont des mesures qui sont les meilleures garanties d’un contrôle social souple et réactif. Le quartier de la gare mute. Le projet d’aménagement Euratlantique va le propulser dans une autre dynamique en profitant de la future Ligne à grande vitesse qui nous placera à deux heures de Paris dans quelques mois. La nuit à Paludate, historiquement secteur excentré, va changer.
Le deuxième secteur de nuit de la ville se trouve aux Bassins à Flot, tout nouveau quartier. Les immeubles ont poussé à une allure sidérante avec la dynamique de l’urbanisme négocié qui met autour de la table tous les professionnels pour éviter les lenteurs administratives. Vendu comme un quartier de nuit par certains ou au contraire comme une marina calme par d’autres promoteurs, les nouveaux arrivants découvrent que des lieux de nuit prisés par les jeunes et les touristes jalonnent le secteur. Ici, il y a de plus petits lieux qu’à Paludate accueillant une population moins nombreuse, moins interculturelle, en capacité de davantage se protéger dans la qualité de ce qui est consommé comme dans le recours à des moyens de transports privés. Les Bassins à Flot montrent un autre visage de la nuit, plus élitiste, bien qu’universel dans les risques comme dans la joie de la fête.
Pendant cinq ou six heures, nous sommes allés à la rencontre des publics de la nuit, ceux qui l’organisent et ceux qui la vivent. Bordeaux, deuxième ville la plus attractive de France, après Paris, terre étudiante et désormais touristique va, comme Barcelone, Berlin, New York, et tant d’autres, devoir parler de ses nuits et à travers elle raconter le destin qu’elle se prépare pour les décennies à venir. J’ai proposé, avec mes collègues à la culture et à la proximité, d’organiser les Assises de la nuit qui doivent nous permettre de partager une lecture de la réalité et une ambition pour l’avenir. La nuit reste ce qu’elle a toujours été avec son lot de fantasmes et de digressions, elle pourrait bien être aussi ce qu’elle n’avait jamais été puisque la société évolue radicalement. Les Assises de la nuit doivent nous permettre d’en prendre conscience, d’en débattre avec les citoyens et de fixer le curseur de ce que nous voulons et de ce que nous ne voulons pas.
Ce soir-là, avec les membres de la délégation du FFSU, nous partagions pour Bordeaux cette évidence de l’urgence de penser nos nuits comme potentiel touristique, comme biotope de notre jeunesse et comme étude de nouvelles frontières physiques, économiques et sociétales.
… La suite mercredi prochain
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2 réflexions sur “Quelles sont les nouvelles frontières du temps ?”