[EXTRAIT – BORDEAUX EST AVENIR]
Il y a, partout en France, et de plus en plus dans la nouvelle génération, des citoyens imprégnés de dynamiques collaboratives. Il faut les détecter, les encourager, les mettre en lumière pour convaincre tous les autres de l’utilité de ces démarches et collectivement ainsi retrouver le goût de l’intérêt général.
Les citoyens ont besoin de comprendre pourquoi et comment les choix sont faits. Ils veulent pouvoir donner leur avis sur les conditions de mise en œuvre de nos décisions mais aussi, et presque surtout, sur les raisons qui nous les ont fait prendre. Ils veulent la transparence totale, ils veulent pouvoir collaborer aux diagnostics, du moins savoir qu’ils le pourraient s’ils le voulaient… Certains sont prêts à mettre en avant leur expertise, leurs expériences tirées de leur quotidien. Ils veulent aussi participer en tant qu’acteurs aux projets retenus. Il ne s’agit surtout pas dans cette collaboration de faire porter au citoyen le poids de la décision et les contraintes qui y sont liées. Il s’agit d’épaissir nos connaissances mutuelles, de partager des plans d’actions priorisées, d’évaluer ensemble pour adapter nos décisions. Des protestations à la prospective, la contre expertise des citoyens ne doit pas être vécue comme une « concurrence » par les décideurs publics mais soutenue en tant qu’appropriation citoyenne et élément de légitimité.
A Bordeaux, nous avons déployé le Pacte de cohésion sociale et territoriale : nous avons voulu développer une dynamique de collaboration continue entre les citoyens, les fonctionnaires et les élus. Pacte de cohésion sociale et territoriale : chaque mot compte. « Faire un pacte » c’est se lier avec des engagements réciproques, ici entre élus, administration, citoyens et acteurs locaux. « La cohésion » est ce qui fait de Bordeaux cette ville attractive par-delà sa beauté, c’est ce que les habitants, depuis toujours, ont su construire et préserver, guidés et soutenus en cela par leurs élus. « Sociale » et « territoriale », deux termes profondément liés qui démontrent la priorité qu’il faut donner aux territoires de vie et à la consolidation des solidarités de proximité, aux dynamiques citoyennes pour faire société. Ce Pacte est un cadre d’actions concrètes. Dans chacun de nos huit quartiers, avec chaque maire adjoint, nous sommes allés à la rencontre des représentants des commissions permanentes et des acteurs de terrain pour leur proposer de co-définir les projets prioritaires à développer autour de cinq axes qui font la vie de n’importe quel habitant : S’insérer économiquement, être citoyen actif ; Habiter la ville, partager la vie ; Accéder à la culture, à l’éducation et aux savoirs ; Préserver le bien-être, la santé et l’environnement ; Garantir la tranquillité publique et la prévention, lutter contre les discriminations, agir en faveur des personnes handicapées.
Nous avons proposé aux habitants un plan simple en trois étapes. D’abord partager l’Analyse des besoins sociaux de chaque territoire. Cet outil, terriblement méconnu, pourtant accessible par le grand public, permet de connaître le portrait socio-économique de la population de la ville. C’est un véritable scanner de la population : avec qui vivez-vous sur un même territoire et comment vivent nos concitoyens ? Cette connaissance éclaire les réflexions et oblige à sortir du quant à soi.
Par la suite, nous avons marché avec les habitants dans leurs rues. Nous nous sommes volontairement extraits des salles classiques qui séparent élus et public par des estrades, des tables et des pupitres. Nous avons cheminé sur des parcours choisis avec les marcheurs pour percevoir tout ce qui se vit au quotidien et qui ne se formalise jamais complètement. Le choix d’entendre cette expertise d’usage des citoyens nous a permis de libérer une parole brute, sincère qui se traduit par des réalités chiffrées ou, et c’est souvent là le plus intéressant, les « sentiments de… ». Ces déambulations ont été l’occasion de parler « du sentiment d’insécurité ». Face au « sentiment de », vous pouvez toujours objecter, à ceux qui ont peur, des éléments chiffrés qui attesteraient formellement de la baisse du nombre de délits, le sentiment d’insécurité ne faiblira pas. Au contraire même, le soupçon grossira sur la contradiction apparente entre vos chiffres et la réalité du « sentiment de ». Ces marches permettent cette libération de pensées intimes, individuelles dans l’espace public, et donc la confrontation des ressentis de chacun. La présence des élus dans ces marches ne devant pas en dénaturer l’objectif initial, ce sont les fonctionnaires, et ceux notamment qui maîtrisent la médiation, qui récoltent cette parole brute.
Enfin, forts de ces deux expériences collectives, dont chacun s’est nourri, nous avons réuni les participants pour définir avec eux ce qu’ils estimaient relever de projets prioritaires, chacun pour leur quartier, dans les cinq axes. Grâce à cette récolte de priorités, issues de ce nouvel exercice démocratique, nous avons réuni tous les adjoints de la ville, les directeurs de services et les membres de cabinets, pour établir un plan d’actions concret pour chacun des huit quartiers avec des budgets sécurisés et des délais maîtrisés. Ainsi, avons-nous collectivement réussi à choisir, prioriser, prévoir, afficher. Chaque citoyen en a eu le résultat sous forme de plans dans sa boîte aux lettres, téléchargeables sur le site internet de la ville, qui dévoilent la vingtaine des priorités citoyennes pour chaque quartier : l’avancée de ces dernières devant faire l’objet d’échanges continus. Cette démarche territoriale totale nous a permis aussi de définir ensemble onze priorités transversales[1] communes à l’ensemble du territoire et à tous les habitants. Chacune de ces priorités communes nous permet d’être en cohérence avec tous les grands projets des délégations thématiques de la ville. Les priorités ainsi définies et chacun des huit Pactes de territoire, construits autour de la volonté éclairée des citoyens, constituent un pilier de notre mandature.
Il ne s’agit pas seulement d’accélérer très sensiblement la collaboration avec les citoyens. Le Pacte repose sur un principe essentiel : retrouver la confiance du plus grand nombre. Toutes les solutions à nos difficultés ne peuvent pas être unilatéralement traitées par les institutions mais doivent, chaque fois que possible, être conçues directement par tous les citoyens de manière élargie et transversale. C’est en retrouvant notre capacité collective et nos capacités individuelles à faire société, à être solidaires, à être en empathie, en écoute active les uns avec les autres, que nous préserverons notre cohésion sociale et territoriale. Faire pour et avec les citoyens revient à sortir les élus d’une omnipotence et d’une omniprésence intenable et à les transformer en facilitateurs d’initiatives et d’innovations citoyennes. Il s’agit pour eux d’être plus dans l’écoute et l’émancipation que dans l’appropriation et le partage de bilans. Cela implique aussi que les fonctionnaires, formés au mode projet, cavaliers agiles et réactifs, puissent accompagner efficacement ces innovations et ces initiatives. Enfin, cela invite chaque citoyen à assumer, en la faisant vivre, sa responsabilité : s’informer, participer, débattre…
[1] Prioriser l’emploi notamment dans les quartiers de la Politique de la ville et en particulier celui des jeunes ; Améliorer le maillage associatif et inciter au bénévolat, notamment en direction des jeunes et des seniors ; Réussir la rénovation des grands quartiers d’habitat social et garantir la mixité dans toute la ville ; Soutenir toutes les formes d’habitat partagé et aider chaque personne à bien vivre dans son logement ; Poursuivre l’amélioration des conditions d’accueil de chaque enfant et son intégration dans la cité notamment à travers le développement d’écoles ouvertes aux familles ; Donner l’envie de culture à tous ; Contribuer à la transition énergétique et écologique ; Sensibiliser aux enjeux de la santé globale et la préserver ; Lutter contre la solitude des seniors, déployer des services – une nouvelle économie – pour les maintenir à domicile ; Lutter contre toutes les formes de discriminations ; Garantir la sécurité et la tranquillité des biens et des personnes.
… La suite mercredi prochain
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2 réflexions sur “Le défi d’une nouvelle gouvernance avec les citoyens”