[EXTRAIT – BORDEAUX EST AVENIR]
La ministre est venue nous parler des conseils citoyens
Un vendredi de septembre. 17h. Au Rocher de Palmer. Hélène Geoffroy est Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville. Elle vient à Bordeaux pour conclure les rencontres nationales annuelles de l’IRDSU – Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain -, réseau national qui regroupe tous les fonctionnaires qui travaillent sur le terrain dans les quartiers populaires.
A Bordeaux intra-muros, 47 000 Bordelais étaient concernés et potentiellement bénéficiaires de la Politique de la ville, cette politique publique spécifique dotée de crédits particuliers. La réforme Lamy de 2014 a fait chuter le nombre de nos bénéficiaires de 47 000 à 17 000 dans un silence médiatique effrayant. Les 30 000 habitants ne sont pas sortis d’affaire du tout, ils sont juste a priori, au regard de leur revenu fiscal, finalement moins vulnérables que les 17 000 bénéficiaires restants après la réforme. Ceux-là sont au cœur de toutes les nouvelles attentions législatives et réglementaires. La mise en place des conseils citoyens en est une et la Secrétaire d’Etat venait parler de ce nouveau dispositif ce jour-là. Je suis entre autres choses, dans ma délégation, en charge de les déployer sur Bordeaux.
Le constat de départ était simple et largement partagé : les habitants des banlieues participent très peu à la construction des politiques publiques ; ils ne s’en sentent pas capables et/ou pas autorisés, ou encore ils pensent que leur parole sera dévoyée. Or, rénover des banlieues sans intégrer à la réflexion et à la conception de plans d’actions ceux qui y vivent, nous a conduits collectivement à bien des erreurs et des fantasmes dans le passé. Certains politiques d’ailleurs n’hésitent pas à surfer sur l’idée qu’il ne servirait à rien de continuer à proposer des dispositifs particuliers dans ces quartiers, mais sans préciser ce qu’ils feraient de tous ces Français vivant dans ces territoires de relégation. Ceux qui les y ont placés en créant ces quartiers n’ont pas anticipé qu’avec le temps, faire vivre dans un même lieu des publics aux situations économiques, sociales difficiles générerait obligatoirement des atmosphères explosives. D’ailleurs aujourd’hui, ils ne le reconnaissent toujours pas vraiment
Les professionnels de la Politique de la ville diront ce jour-là à leur ministre de tutelle leur fatigue à soulever des montagnes. Ils ont conscience, mieux que personne, des réalités, ils sont désireux, plus que quiconque, que ces populations prennent une part active à leur destin, convaincus de leur capacité d’autonomie, mais leurs compétences sont souvent utilisées pour éteindre les feux, gérer les situations à risque. Tout ce qu’ils construisent s’apparente plus à de la gestion du couvercle sur la marmite du contrôle social qu’à un travail de prévention de fond. Ils peinent à faire remonter le constructif, le « plus ». Les autres services appréhendent mal leurs métiers, imaginent souvent qu’ils sont déloyaux à la collectivité en se confondant aux publics qu’ils accompagnent dans leur demandes et leurs exaspérations. La ministre entend, hoche de la tête, comprend aussi que le fait d’avoir imposé la constitution de conseils citoyens pourrait être une injonction de pure forme. Demander à des publics, tirés au sort ou volontaires, éloignés de la vie démocratique et inquiets, de se constituer en conseils citoyens pour participer à la vie de leur quartier est un défi monumental. Les former pour y parvenir sans leur imposer une pensée institutionnelle en est un autre. Ne pas générer de nouvelles frustrations et un sentiment de tromperie avec cette nouvelle instance, est une mission aussi complexe pour la ministre qu’elle l’est pour moi de convaincre les adjoints des huit quartiers de Bordeaux que cette injonction ministérielle est réaliste.
Il existe à Bordeaux huit mairies de quartier ; chaque maire adjoint est désormais accompagné de 40 citoyens réunis en commissions permanentes. Commissions permanentes et conseils citoyens répondent donc au même objectif : permettre à des habitants de participer activement à la construction de nos politiques publiques, à la vie de la cité. Seul le périmètre d’action varie, grand quartier ou secteur Politique de la ville. Les commissions ont été voulues par la municipalité, les conseils citoyens ont été imposés par le Gouvernement. Les deux instances devront cohabiter mais avant tout nous permettre de relever le défi de la participation active. Aujourd’hui, ceux qui participent le font souvent pour soutenir leurs élus ou au contraire contester quand leur intérêt particulier leur semble menacé. Ceux qui ne participent pas, et ils représentent la grande majorité, estiment ne pas pouvoir le faire malgré l’explosion du nombre de réunions publiques, les rendez-vous largement accessibles sur tous les supports de communication. Les élus locaux appliquent l’exigence du « tout débattre, partout, tout le temps » et pourtant, la participation du plus grand nombre est en berne, le jour des élections et tous les autres jours de l’année. Et il se dit à chaque coin de rue que les citoyens ne seraient pas écoutés et qu’ils n’auraient aucun moyen d’agir de toute façon.
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2 réflexions sur “Qui a le pouvoir d’agir ?”