« Alain Juppé, c’est vous ? »

[EXTRAIT – BORDEAUX EST AVENIR]

Samedi matin. Trois inaugurations à la suite. Je passe la matinée avec Alain Juppé, je l’accompagne pour l’ouverture de l’Assemblée générale de la Fédération nationale des centres sociaux. Bordeaux est une ville attractive pour tout désormais : les médiateurs, les professionnels du développement social, les salariés des centres sociaux et membres de leurs conseils d’administration seront venus chez nous la même année. Ils ne lui sont a priori pas favorables, leur ADN de gauche les rend méfiants à l’endroit de notre maire, mais force est de constater pour eux que la ville est magnifique, que les centres sociaux de la ville sont soutenus sur la forme et sur le fond et que son discours d’édile est humaniste.

Nous partons en voiture pour l’inauguration d’un autre lieu sur la rive droite. Nous sommes en avance. Il m’invite à prendre un café. Je suis sur la défensive parce que ce n’est jamais simple avec lui de prendre le temps convivial qu’il vous propose quand il le décide : faut-il en profiter pour lui parler des dossiers ou au contraire goûter le calme et la simplicité d’un moment sans objectif ? Je choisis cette option. Un homme rentre, demande un café à son tour, très près d’Alain Juppé, se tourne nonchalamment et sursaute, « Alain Juppé, c’est vous ? ». Il n’en revient pas, s’ensuit un échange sur la ville, sur la vie de cet interlocuteur éberlué et heureux. Puis ce sera une série de « selfies » avec tous ceux que nous croiserons et qui demanderont systématiquement qu’on capture ce moment sur leur appareil. On dit que la cinquième république est la rencontre d’un homme et du peuple. S’agissait-il de cela ou la fièvre des « selfies » montait-t-elle avec quiconque était connu et reconnu du plus grand nombre ? Je ne savais finalement pas le dire ce jour-là. Alain Juppé en tout cas était porté par cette affection populaire. Carpe diem.

 

La ferveur

Je ne l’aurai jamais accompagné dans ses déplacements en France. Ce jour-là, ce fut pourtant le cas à Amiens. Ma grand-mère venait de s’éteindre dans les bras de ma cousine, un chagrin définitif annexa une partie de mon être. L’ayant appris dans l’avion, l’annulation du déplacement était impossible et de toute façon, rien n’arrêterait la douleur. J’étais donc plongée dans cette détresse intime quand je rejoins Alain Juppé à Amiens. J’y découvris une ferveur irrationnelle. En plein cœur d’un quartier populaire, les gens en masse voulaient le toucher, plus que le voir. Ils le voulaient président et le lui disaient. Je le regardais marcher de loin, avec autour de lui des essaims d’inconnus enthousiastes voulant le photographier à tout prix. De cette journée inattendue et évidemment très spéciale, j’étais rentrée avec l’image d’Alain Juppé en lévitation. Les sondages alors m’avaient semblé être largement en deçà de la vérité. Qu’il devienne président de la République me parut alors une hypothèse vraisemblable. Mon inconscient m’engagea, à partir de là, mécaniquement, dans une analyse fine de mon parcours et de ma relation singulière à ce mentor au destin national.

Il faut savoir décoder Alain Juppé pour avancer. Apprendre à le faire permet de survivre à cette relation forcément inégale. Un homme voulant être président de la France ne peut pas avoir avec les autres, tous les autres, une relation parfaitement normale. Pour autant, il reste un individu de chair et d’émotion : chaque rencontre avec lui est une occasion de découvrir sa belle mécanique intellectuelle qui le place souvent en dehors de toute compréhension émotionnelle de ses interlocuteurs. J’ai beaucoup attendu de lui, je crois avoir tout reçu : de la douceur à l’implacable distance sans laquelle il n’aurait pu, ni rester vivant dans ce monde politique, ni vouloir se hisser à son sommet depuis tant d’années.

La suite mercredi prochain

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