[EXTRAIT – BORDEAUX EST AVENIR]
Mardi soir. Dans le bureau d’Alain Juppé. Nos rendez-vous en tête-à-tête avec Alain Juppé étaient rarissimes. Quand un élu demandait un entretien c’était forcément important : il s’y était préparé. Cela fut mon cas cette fois-ci, comme jamais avant. Je lui présente mon projet de Pacte de cohésion sociale et territoriale qui doit se décliner dans les huit quartiers de la ville, toutes thématiques confondues, et qui repose sur un changement total de posture : construire nos politiques publiques avec les citoyens, du diagnostic jusqu’à l’évaluation. Il m’exprime son avis en quelques mots : « C’est moderne, c’est très ambitieux, cela repose sur une indispensable transversalité. Ça va être dur, mais vas-y ». De cet échange on ne peut plus sobre, j’ai compris que ce serait à moi de porter la dynamique et de démontrer que ça pouvait marcher. Je n’ai compris que plus tard qu’il n’avait pas tout entendu.
Changement de paradigme
J’ai saisi son consentement, j’ai présenté la démarche à chacun de mes collègues élus et des directeurs de notre administration. J’ai trouvé de l’écoute, de l’inquiétude parfois, souvent de l’interrogation. On m’a prêté l’intention de vouloir développer un projet de mandature, ce qui est juste. On m’a objecté que le patron soutenait très discrètement cette dynamique, et ce n’était pas faux. Mais l’essentiel est qu’il l’ait permise. Chacun a attendu surtout que je produise du résultat concret. J’ai rédigé un ouvrage en m’inspirant de tous mes échanges, en donnant la parole à tous les élus, aux acteurs de terrain les plus emblématiques pour moi des mutations en cours, à l’Institut parisien des futurs souhaitables. Cet ouvrage fut mon sésame.
Les acteurs de terrain se sont emparés du Pacte et à travers lui de la nécessité, à l’échelle de nos quartiers, de pouvoir partager avec nous une connaissance très fine des besoins des habitants pour « prioriser » nos réponses et les mettre au débat public. Nul n’ignorait que les finances publiques ne permettraient plus de répondre à toutes les demandes, d’autant que l’arrivée de 60 000 habitants dans plusieurs nouveaux quartiers ne se traduirait pas forcément par une augmentation corollaire de nos ressources du fait de l’impôt. Beaucoup d’entre eux seraient non-imposables. Nul n’ignorait qu’il fallait trouver de nouvelles approches qui permettraient de réduire les demandes de services à la personne en favorisant les solidarités de proximité, d’optimiser la qualité de nos réponses en améliorant notre organisation administrative, en favorisant l’hybridation des moyens publics et privés. Ce qu’il nous fallait inventer pour ne pas être traumatique devrait être partagé. L’introduction d’enjeux économiques dans tous les débats nationaux et l’incitation à la culture de l’évaluation et de la performance ne pourraient pas être l’unique base d’un projet de société et certainement pas d’un modèle de transition. Pendant douze mois, avec chacun des huit maires adjoints de quartier, nous avons collecté les attentes des habitants autour des cinq domaines qui caractérisent la vie de tout individu : « avoir une activité et/ou un engagement ; habiter la ville ; s’éduquer, se cultiver et apprendre ; se soigner globalement et préserver son environnement ; enfin, être protégé et protéger ». Grâce à des temps d’échanges, huit Pactes de territoires ont pu être construits avec les Bordelais, huit Pactes singuliers et onze priorités communes à tous les Bordelais. Cet exercice m’a permis d’appréhender le contenu de chaque délégation d’adjoints et de mesurer pour chacune d’elle, avec eux, la marge certaine de progrès possible et nécessaire de notre action publique, en décloisonnant nos pratiques, en libérant les initiatives, en écoutant de manière réellement active les habitants.
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