[EXTRAIT – BORDEAUX EST AVENIR]
Xavier Darcos est ministre, quatrième dans l’ordre protocolaire. Il prépare la nouvelle réforme des retraites. Il se dit dans les salons parisiens qu’il pourrait, lors d’un prochain remaniement ministériel, devenir premier ministre. Je connais mal cette personnalité politique, ce qui explique probablement mon angoisse à le rencontrer. J’ai quand même en tête la triste affaire entre lui et Véronique Fayet en 2004 et l’intervention des chiennes de garde. J’attends de le connaître pour me faire ma propre opinion. Comme d’habitude dans ces moments-là, je me répète à voix haute les mots précis que je voudrais employer. Je le rencontre dans quelques minutes dans un restaurant bordelais. On m’a donné peu de détails et je n’ai posé aucune question toute occupée que j’étais déjà à contenir mon émotion. Je ne sais pas si je mange seule avec lui ou si nous serons plusieurs. J’ignore le type d’homme qu’il est, tout simplement, indépendamment de la figure politique qu’il incarne. Nous sommes une dizaine en fait, et pendant tout le repas les uns et les autres sortiront, happés par une conversation téléphonique urgente qui nous rappellera sans cesse que l’élection régionale est une des quinze priorités que ces hommes-là gèrent au quotidien.
Il n’y a que des hommes, mis à part Marie qui, la première, m’a rencontrée pour valider sur la forme que le choix d’Alain Juppé en ma personne était Darcos-compatible. Marie sera la directrice de campagne de Xavier Darcos pour les régionales de 2010. Très proche d’Alain Juppé dès le début de sa carrière, elle ne cessera jamais d’ailleurs de l’accompagner ensuite. Je subis doucement un interrogatoire en règle. Je ne m’y attendais pas, j’avais besoin d’un échange libre, de la connaître et très vite de me connecter à elle. Mais elle souhaitait terminer au plus vite mon examen de passage. Une fois vérifié qu’il n’y avait pas de grosses anomalies, elle a, je pense, consacré les deux dernières grosses minutes de notre entretien à évaluer quel genre de camarade de campagne j’allais être. Il m’a semblé que je lui avais plu. Elle, en tout cas, ne m’avait pas déplu. Marie sera pendant quatre mois le personnage central de la campagne. C’est une séquence de vie qui s’apparente à un cocktail d’adrénaline et de dopamine très corsé. Le directeur de campagne fait tout : presse, logistique, soutien, psy, rédaction, tactique… Leur capacité à rassembler, protéger, corriger conditionne vraiment les résultats. Marie avait donc rassuré Xavier : je ne serais pas un emmerdement de plus, il n’était pas impossible que je sois même une bonne surprise.
Dans ce déjeuner improbable, qui me permit quand même de comprendre que le ministre s’était vu assigner l’obligation par Nicolas Sarkozy de candidater, avec une garantie de bon traitement quelle que fût l’issue du résultat, je découvris l’homme. Xavier Darcos est un homme remarquable : intelligent, cultivé, attentif et parfaitement conscient de l’autre, de cet autre que lui. De ce repas j’ai retenu une phrase qui résonne encore : « Alexandra, tes enfants, si tu veux, je les rencontre : tu vas sacrifier pour notre campagne le temps précieux que tu leur consacres d’habitude. Je suis un inconnu pour eux. Peut-être voudraient-ils me voir, pour comprendre, pour se rassurer ». Souvent ensuite, pendant les longues semaines au cours desquelles nous faisions campagne, j’ai profité de la qualité exceptionnelle de ces échanges simples et sincères.
Le soir du premier tour, alors que les résultats étaient faibles et décevants et que la quinzaine avant le deuxième tour s’annonçait très dure à vivre, il s’est comporté avec une humanité qui fut pour moi un déclencheur. Nous étions abattus. Il a pris son ordinateur pour rédiger sa lettre de candidature d’entre deux tours, il a pris soin de chacun de nous, nous faisant rire, aussi bien pour nous donner du courage que pour nous permettre d’objectiver le moment. Un résultat électoral est peu de chose dans la vie d’une personne : c’est le comble de l’accessoire. Pour autant l’accessoire donne au principal sa place et sa force.
… La suite mercredi prochain
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