[EXTRAIT – BORDEAUX est AVENIR]
Janvier 2008. Quelques semaines après ce déjeuner chez eux, sans informations particulières, ni formation, je me retrouve sur la photo de sa liste de colistiers pour les municipales de mars 2008, prise devant le miroir d’eau. Je n’ai pas de carte dans un parti, on ne me le demande pas. Je suis un nouveau visage. Je comprends vite que la porte est désormais ouverte, que derrière elle, tout est à construire dans un monde très codifié qui vit selon des logiques parfaitement orchestrées. Les nouveaux se reconnaissent en une fraction de seconde ! Ils sont reconnaissables en aussi peu de temps d’ailleurs par tous ceux qui ne le sont plus.
PLOUF, j’ai vraiment plongé dans la marmite ce matin-là.
Faire partie d’un orchestre
Alain Juppé était le chef d’orchestre, du moins fallait-il le croire et le dire. En réalité, le directeur de campagne était le maître du jeu et la tête de liste, son soliste. Alain Juppé est très investi durant les campagnes. Plus encore que d’habitude, il enchaîne les meetings, les sorties terrain : toujours plus affûté, il ne renonce à aucun effort. En amont, la feuille de route qu’il nous avait donnée se résumait en une mission très simple : « Je veux que nous soyons entrés en contact avec chaque habitant de Bordeaux ». Ce fut traduit opérationnellement de manière militaire : chacun avait un plan de quartier et les secteurs qu’il devait couvrir en rentrant en contact avec chaque habitant. Alain Juppé est un homme précis qui considère en politique que rien n’est jamais acquis jusqu’au dernier moment. Il ne laisse pas de place au hasard. Ceux qui le côtoient en temps de campagne sont comptables de ce hasard et partagent la responsabilité qu’il soit le plus minime possible.
Nous les colistiers, nous composions l’orchestre, nous étions des musiciens. A chacun de nous revenait donc le devoir de jouer sa partition : réunion Tupperware, sortie terrain, organisation d’événements, collage d’affiches, distribution de tracts… Nous nous retrouvions souvent tous ensemble pour une distribution sur un marché, tous ensemble pour une sortie kayak, tous ensemble pour une traversée à vélo de la ville avec l’effigie du boss en T-shirt. Une fois par semaine, on nous expose les enjeux, les rendez-vous immanquables, les efforts attendus. Tout le monde se jauge, se remarque, s’apprend, s’imagine plus tard. Ce sont des semaines exceptionnelles dans lesquelles vous vous engouffrez complètement ; ainsi commence la désinhibition. Il faut aller au contact, aborder des inconnus, leur parler de la liste que vous promouvez, des raisons pour lesquelles vous vous engagez.
Le porte-à-porte est un exercice incontournable dans toute campagne. Un exercice de pure vérité, une succession de face à face qui vous oblige à mesurer sans ambiguïté l’état exact de l’opinion. Equipés le plus souvent d’éléments vestimentaires distinctifs, par deux, tels des témoins de Jéhovah, il s’agit de frapper à toutes les portes, d’une ou de plusieurs rues, pour délivrer avant tout un même message très complet : « Il y a bientôt des élections, nous soutenons tel candidat, avez-vous des questions ? Tout va bien ? ». Fouler le sol dans cet objectif, attendre devant la porte pleinement conscients de l’intrusion dans l’intimité des habitants, s’exposer à toutes sortes de réactions, exige un forte dose d’humilité et impose une digestion lente d’analyses a posteriori.
… La suite mercredi prochain
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