« Oui Monsieur le président »

[EXTRAIT – BORDEAUX est AVENIR]

Samedi. 11h. Lormont. J’accompagne la directrice pour une inauguration : une maquette de tramway grandeur nature est exposée sous un chapiteau dans une des communes de la rive droite. Il y a du monde, c’est un succès. Elle n’a pas vu le président en tête à tête depuis de nombreuses semaines alors qu’elle voudrait lui faire valider sa stratégie de communication, elle aurait voulu profiter de ce moment inaugural pour lui glisser sa demande d’entretien. Plus tard je comprendrai cela : ce besoin jamais rassasié de parler avec lui, cette frustration de devoir guetter la moindre occasion dans des conditions forcément mauvaises parce qu’inadaptées, cet étonnant défi d’obtenir en une minute son éclairage sur des sujets qui occupent la moitié de votre vie cérébrale. Nous étions partis sans qu’elle puisse lui parler parce que beaucoup d’autres avaient eu la même idée qu’elle et qu’ils y avaient mieux réussi. Comme toujours, le président tout en limitant le nombre de contacts de cette nature, avait dû, malgré lui, réceptionner plus ou moins clairement de très nombreux messages sans filtre.

Elle conduit en silence : satisfaite du succès de la manifestation, triste du non échange avec son patron. L’atmosphère est lourde. Le téléphone sonne. C’est lui. Grand coup de volant, elle nous arrête au milieu de nulle part : « Oui Monsieur le Président… Oui Monsieur le Président… Oui Monsieur le Président… Merci Monsieur le président ». Elle reprendra le volant : elle n’a pas demandé de rendez-vous, n’a pas parlé de stratégie de communication, mais il lui a parlé et l’a remerciée. De quoi recharger ses batteries, et donc les miennes, pour de longues semaines.

 

La rareté génère le désir et le manque. C’est un puissant moteur de dépassement de soi mais aussi une source de solitude et une machine à interprétations plus ou moins positives. La rareté des échanges génère le pire et le meilleur. Plus tard, la directrice devra quitter la mission, ses rapports avec d’autres cadres devenant trop complexes. Il fera en sorte qu’elle retrouve un poste à sa mesure. Il est comme ça : il ne laisse jamais tomber personne mais n’a pas les mots pour le dire. Un jour vous le quittez et ce n’est pas grave, avec lui l’accompagnement est forcément temporaire, les relations très professionnelles.

J’ai aussi beaucoup appris d’Alain Juppé pendant ces premières années : sur les codes de l’univers politique, sur la personnalité de cet animal politique et des façons des uns et des autres de s’y adapter. Moi-même, finalement sans en avoir pleinement conscience, je m’y préparais.

 

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