« N’oublie pas d’où tu viens »

[EXTRAIT – BORDEAUX est AVENIR]

« Bonjour, c’est Alain Juppé »

Juin 2007 Samedi. 10h. Numéro inconnu. Mon téléphone sonne. C’est un numéro que je ne connais pas. Une voix féminine m’annonce : « Bonjour, le maire de Bordeaux voudrait vous parler ». Immédiatement elle me bascule la ligne. « Alexandra bonjour, c’est Alain Juppé », et tout de suite : « Accepterais-tu de faire partie de ma liste pour les municipales ? ». Sans hésiter, j’accepte et je le remercie de sa proposition. « Parfait, on se voit bientôt. A très vite. ». Je me revois terriblement émue après qu’il m’ait proposé de le rejoindre, en 2008. Assise dans l’allée de notre jardin, le téléphone encore en main, j’étais parfaitement consciente que ma vie désormais serait différente. Il suffit de quelques mots parfois pour que tout bascule dans l’inconnu.

Quelques heures après cet échange efficace, je marche avec mon père devant l’hôtel de ville. Enfant, il passait devant cette porte qu’il croyait interdite. Ma famille, à laquelle je suis viscéralement attachée, a toujours su me rappeler que les événements les plus étourdissants d’une vie ne doivent jamais nous faire oublier qu’elle est un tout : chaque étape n’étant qu’une opportunité, un petit morceau de ce tout. Petite fille d’agriculteurs et de viticulteurs, je porte en moi l’amour de la terre et la conscience du cycle des saisons qui conditionne les œuvres de la nature. Par volonté autant que par nécessité, je n’oublie jamais que l’attention portée aux autres, quels qu’ils soient, impose l’humilité et éclaire son chemin. Mes parents ont choisi la voie de l’enseignement et de l’engagement associatif comme un moteur de leur développement personnel et de notre éducation. Elus locaux non encartés mais gaullistes sociaux, à l’image de leurs pères et frères respectifs, ils ont scellé en moi l’engagement public et collectif comme une évidence.

Enfant, j’écoutais avec gourmandise et discipline, à chaque réunion de famille, les longs échanges à propos des élus nationaux. L’essentiel de mes oncles et tantes étaient conseillers municipaux ou l’avaient été : ils vivaient en première ligne la traduction concrète sur nos territoires, dans nos petites communes, des choix parisiens. J’aimais me glisser dans la petite salle principale de la mairie de Passirac en Charente, les soirs de résultats électoraux. Ma mère était toujours volontaire pour le dépouillement. Nous étions nombreux à attendre le nombre de bûchettes obtenues par chacun des neuf conseillers municipaux. Ces petites enveloppes bleu grisé, portant fièrement notre triptyque républicain comme unique marque, ont occupé très vite une place significative dans mes pensées. Mes sensations étaient les mêmes quand j’ai amené à mon tour ma fille découvrir le fonctionnement de notre organisation démocratique.

Ma famille gaulliste fut chiraquienne et donc juppéiste, même si la dissolution de 1997 fut une épreuve et un appel au discernement dans notre soutien indéfectible. Mes parents furent heureux de me voir entamer un stage à la Communauté urbaine de Bordeaux – Cub – sous la direction de l’ancienne responsable de communication d’Alain Juppé lorsqu’il était premier ministre, qui me permit ensuite d’entamer ma vie professionnelle au sein de la mission tramway en tant que chargée de communication. Je me suis donc retrouvée aux premières loges de la scène politique locale dès le début de mon parcours professionnel. Je venais de passer deux années d’un travail acharné pour intégrer, sans résultat, la magistrature. Mes journées s’organisaient alors selon une logique très ritualisée : révision et petits boulots de serveuse. Je donnais aussi des cours dans des quartiers fragiles, sans imaginer que j’y reviendrais ensuite en qualité d’élue. Cette période entre deux vies, étudiante et professionnelle, fragile car faite de doutes, d’efforts intenses pour des emplois peu qualifiés et très faiblement rémunérés, est restée gravée en moi comme une expérience fondatrice. Certains regards, certaines attitudes sont encore dans ma mémoire. Chaque euro gagné l’était au prix d’un engagement physique total que ma jeunesse me permettait de vivre sans compter, ou au prix d’une fatigue que la certitude que cette période ne durerait pas me permettait de dépasser. Mon entrain à bien la vivre en était dopé. L’échec à l’examen de magistrat fut douloureux et l’exigence du rebond immédiat. C’est dans ce contexte particulier que je décrochai mon entretien pour ce stage non rémunéré de six mois à la Communauté urbaine de Bordeaux, présidée alors par Alain Juppé. En 1998, il n’était plus Premier ministre depuis un an à peine. Il était maire et président de la Cub depuis trois ans et avait décidé d’investir les trois milliards laissés par son prédécesseur, alors que la Ville, sans projet d’envergure, s’endormait dangereusement.

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