8 millions d’électeurs en moins en 2016 par rapport à 2012 : voilà pour moi le premier enseignement des élections américaines. Le résultat vient donc aussi beaucoup de ceux qui se sont abstenus donc tus. Citoyens, invisibles et/ou inaudibles, ou se revendiquant hors-système, ils sont de plus en plus nombreux à ne plus vouloir choisir par défaut. Tant que le vote blanc ne sera pas reconnu et utilisé pour ce qu’il signifie vraiment en attendant le renouvellement de la classe politique, le taux d’abstention continuera d’être élevé. Ce qui permet à ceux qui votent par passion ou par colère d’avoir un impact décisif.
La production continue de sondages n’a pourtant pas permis d’anticiper les résultats, c’est le deuxième enseignement. Cette étrange addiction contribue à la spectacularisation de l’univers politique et avec lui à l’hyper simplification des débats : de leur contenu comme de leur sens. L’outrance fait recette à court terme et accompagne tous les populismes. La logique des sondages enkyste la place des experts en tous genres qui veulent nous faire croire que la petite phrase vaut davantage que la vision, que le storytelling est une nécessité, qu’il faut communiquer exclusivement sur ce que les gens veulent entendre pour régler leurs angoisses immédiates et non pas, sur ce qu’ils doivent comprendre pour éviter les impasses destructives. Recourir le plus souvent possible à l’avis éclairé des citoyens en cours de mandat davantage qu’a leur opinion ponctuelle pendant une campagne est une voie a préférer résolument. Elle nous éviterait beaucoup de déceptions.
Finalement, le pays le plus endetté du monde aura choisi un milliardaire qu’aucun de nos experts n’avait pressenti, comme le futur homme le plus puissant du monde. Il aura été élu par un corps électoral réduit dont on ignorait le profil et qu’on caricature aujourd’hui. Sa position sur l’un des enjeux humains les plus fondamentaux, à savoir le risque de basculement climatique est dramatiquement inquiétante alors qu’en marge de la Cop 22 on apprend que les catastrophes naturelles génèrent des pertes de 520 milliards de dollars par an et font basculer chaque année 26 millions de personnes dans la pauvreté selon la banque mondiale. Je ne suis pas du tout d’accord avec le président Obama qui nous dit ce matin que son successeur est pragmatique. Vouloir sortir des accords de Paris sur le climat est au contraire la preuve d’une erreur historique et d’une profonde incompréhension de la réalité physique des ressources de la planète et de la menace qui pèse sur l’espèce humaine. Les discours de Trump sur le défi démographique – révolution de l’âge et migrations – sont aussi parfaitement irréalistes et pas seulement brutaux. Enfin il n’a pas expliqué comment il allait permettre aux publics déclassés, qu’il a opposés sans cesse aux élites dont il fait pourtant partie par son influence économique, de profiter des opportunités de la révolution numérique sans en subir les risques.
Je n’ai, comme nous tous je crois, été exposée qu’à l’excès et au clivant : il nous reste à découvrir l’essentiel, sa vision, son projet car nul ne sait franchement dire quelle politique il va imposer au reste du monde.
Ces voix américaines interrogent notre propre fonctionnement et nos limites. A quelques jours de la primaire de la droite, à quelques mois de notre propre élection présidentielle, entendons les voix américaines comme un avertissement très sérieux et prenons chacun notre place, toute notre place, dans le débat public pour qu’il fasse émerger des réponses à la hauteur de nos espérances. Ne nous trouvons surtout aucune excuse pour ne pas débattre, pour ne pas participer, pour ne pas voter !